Extrait de SILENCES et NON-DITS de l'HISTOIRE ANTIQUE
En ce jour de vote, pourquoi ne pas s'interroger sur ce que furent les origines de la démocratie
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On dit que : Les premières démocraties étaient fragiles et imposaient un système de caste.
Dans les jugements que l’on porte actuellement sur les modèles anciens de la démocratie, il semble y avoir quelques aspects troubles. Ces jugements ne s’appuient ni sur une histoire, ni sur des textes : aucun fait, ni événement ne servent à expliquer les origines de la démocratie. Sa naissance quant à elle, passe pour un événement anodin. On ne dit rien non plus sur sa durée. Encore plus curieux, on parle toujours de l’effondrement de l’Empire romain, mais jamais de l’anéantissement de la démocratie qui a précédé : a-t-on peur de voir un rapport de cause à effet ? Étonnant aussi qu’on ne se réfère jamais aux démocraties anciennes pour juger les nôtres : nos lointains aïeux d’Athènes, n’ont-ils pas eu le mérite d’inventer le système d’organisation le plus influent au monde ? Enfin, dans nos fictions, les civilisations grecques ou latines ne sont jamais présentées sous les couleurs de la démocratie, mais toujours sous celles du pouvoir impérial.
Tout d’abord, le terme de démocratie apparaît avec une multitude d’autres : monarchie, oligarchie, thalassocratie, timocratie… Ces nouvelles appellations résultent de réflexions philosophiques et études approfondies des différents systèmes d’organisations sociales possibles, les uns faisant preuve d’équité, les autres révélant, au contraire, des aspects tyranniques. On constatera que les systèmes d’organisations d’aspect tyrannique ont des appellations qui se terminent par –archie, tandis que les systèmes d’organisations d’aspect équitable ont des appellations avec le suffixe –cratie. Les dérivés d’origine grecque –archie « arkhe » et –cratie « kratos », dans leurs sens anciens, signifiaient l’un et l’autre « le pouvoir de…, le règne de... ». Ils sont donc presque synonymes. Cependant, il semble possible de noter une nuance dans le sens du terme pouvoir : « kratos », correspondait plus justement au pouvoir comme une qualité en soi ce qui excluait le besoin de rivaliser en force avec autrui. Inversement, « arkhe », signifiait plutôt un pouvoir extrême, obtenu par la comparaison des forces et l’intention de dominer l’autre ; sens que l’on trouve encore dans le superlatif : archi- qui exprime l’excès, le degré extrême.
Précédant l’adoption de la démocratie, deux autres régimes : la « thalassocratie » et la « timocratie ». La thalassocratie signifie le pouvoir de la mer : l’idée était alors de développer différentes cités grecques autour du bassin méditerranéen et de les fédérer autour de ce centre commun qu'est la mer. La timocratie (devenue plus tard l’aristocratie) avait quant à elle, comme idéal, de récompenser les meilleurs. Le système d’organisation sociale devait donc répondre à cette idée en permettant aux plus méritants d’être élevés dans la hiérarchie, afin de recevoir les biens et les honneurs qui revenaient à leurs mérites.
On peut supposer que ce sont des défaillances constatées dans les deux précédents systèmes, qui ont abouti à l’idée d’élaborer un nouveau modèle de régime : le modèle démocratique.
Contrairement à ce que l’on peut penser, l’origine de la démocratie résulte d’une étonnante épopée. Celle-ci commence à Athènes, à la fin du VIIe siècle av. JC, avec les révoltes des hoplites, des artisans, des paysans et des commerçants contre les Eupatrides. Les Eupatrides étaient alors les membres de l’aristocratie terrienne d’Attique (le terme aristocratie devant être pris dans son sens ancien), lesquels avaient eux-mêmes aboli la royauté vers le XIe siècle av. JC. Mais au VIe siècle av. JC, les privilèges de ces aristocrates paraissent excessifs aux yeux de ceux qui ne font pas partie de l’élite et les révoltes grondent. Principalement, les paysans craignent d’être dépossédés de tout et d’être ainsi réduits à un état d’esclavage.
Mais intervient un archonte très estimé de ses concitoyens : il s’agit de Solon (-640 / - 558). Solon décide de s’intéresser à un texte de lois rédigé au VIIe siècle av. JC par un aristocrate du nom de Dracon. Ces lois inédites évoquent déjà l’idée démocratique, mais elles sont aussi d’une grande sévérité, d’où le terme de draconien, dérivé du nom de ce législateur pour désigner, aujourd’hui encore, l’idée de sévérité par rapport à des mesures. Solon choisit donc de s’inspirer des lois de Dracon, mais en les tempérant. Naissent ainsi de nouvelles réformes : abolition de la contrainte par corps et de l’hypothèque, exonération des dettes, amnistie politique, etc. Ces mesures appelées la « sisachtie », autrement dit, le « soulagement du fardeau » vont alors révéler une incontestable efficacité qui mettra un terme à la crise sociale de l’époque. S’ensuit une grande réforme où l’archonte rend compte, cette fois, d’un véritable tournant dans la législation : extension du droit de succession aux filles et aux enfants naturels, égalité des classes dans l’Assemblée du peuple, droit de vote… Cette fois, il s’agit d’un réel changement de régime politique : l’aristocratie n’est plus ; la démocratie vient de naître.
Cette démocratie nouvelle, encore fragile et chancelante, rencontre son premier obstacle avec Pisistrate (v. - 600 / v. - 527), qui n’est autre que le cousin de Solon. Ambitieux, Pisistrate invente une manœuvre pour accéder au pouvoir. Se blessant lui-même, il se présente devant l’Assemblée comme la victime d’un attentat fomenté par les Eupatrides. On lui accorde des gardes du corps. Il parvient ensuite à occuper l’Acropole et à imposer son autorité. Cependant, en face de lui, il rencontre une sévère opposition populaire. Il finit par être renversé, mais sa ténacité est grande ; peu après, il revient au pouvoir. Mais il est à nouveau renversé et connaît cette fois onze années d’exil. Il parvient malgré tout à retrouver une fois encore sa place de dirigeant. Dès lors plus assagi, ou simplement plus prudent, il décide de gouverner avec modération, notamment en poursuivant les travaux de réforme de Solon. Mais dès son décès, un nouveau coup dur est porté à la jeune démocratie, puisque ce sont ses deux fils Hipparque et Hippias, qui lui succèdent.
Hippias, plus ambitieux qu’Hipparque, finit par occuper seul le pouvoir, son frère jouant surtout un rôle de figurant. Mais du côté du peuple athénien, la colère gronde. Deux rebelles, Harmodios et Aristogiton tentent d’assassiner les deux frères ; seul Hipparque succombera (- 514). Hippias décide alors de réagir par une répression sévère. Harmodios est tué sur-le-champ et Aristogiton, qui est torturé, meurt peu après. Pour les Athéniens, ces deux hommes ne tardent pas à devenir des martyrs de la liberté et, contrairement à l’effet escompté par le tyran, l’opposition se durcit. Le meneur, cette fois, se nomme Clisthène (VIe siècle av. JC) et appartient à une éminente famille d’Athènes (les Alcméonides). Pour sauver la démocratie, Clisthène décide de demander l’aide d’une cité voisine, Sparte, réputée pour sa culture guerrière. Le roi Cléomène répond à son appel et peu après, les Spartiates envahissent l’Attique. Assiégé dans l’Acropole, Hippias doit se rendre.
Condamné à l’exil, le tyran déchu rejoint les rangs de l’armée perse, la pire ennemie du peuple grec. Installé d’abord à Lampsaque, il est ensuite accueilli à Sardes, par Darios le roi des Perses. A l’issue de cette rencontre, Hippias décide alors de comploter contre son propre peuple, et propose à l’ennemi perse de livrer une guerre contre les Athéniens. Darios, qui s’inquiète de la naissance de ce nouveau régime appelé démocratie, voit dans la proposition d’Hippias, l’opportunité d’anéantir une influence qui pourrait remettre en cause la légitimité de sa couronne au sein de son propre peuple. De plus, l’armée perse est forte de 40.000 hommes (20.000 à 100.000 selon les versions) alors que les Athéniens ont 9.000 hoplites. Pour les ennemis de la démocratie, la victoire semble donc facile.
C’est à Marathon, à 40 km au N.E. d’Athènes, en - 490, que le conflit prend toute son ampleur. Pour les Athéniens, l’enjeu de la victoire est considérable : ils doivent sauver la toute nouvelle démocratie. S’ils échouent, ils verront la trahison d’Hippias récompensée et se retrouveront plus que jamais sous le joug de sa terrible autorité. Pour renforcer leurs rangs, les Athéniens demandent d’abord l’aide des Spartes, mais ces derniers prétextent des raisons religieuses pour ne pas s’allier à eux. Seule la cité de Platée, en Béotie, semble s’intéresser au sort des Athéniens et envoie 1000 autres hoplites pour consolider la petite armée des défenseurs de la démocratie.
Les deux armées qui s’affrontent sont à la fois terriennes (avec une importante cavalerie pour les Perses) et maritimes (les flottes navales étant constituées de trières).
Les Perses commencent par détruire Erétrie. Ils débarquent ensuite aux environs de Marathon, mais se rendent compte que l’endroit leur est peu favorable. Ils décident alors de lever le camp et retournent à leurs trières avec l’idée d’atteindre le Pirée (port d’Athènes) par la mer. A cet instant, les troupes de Darius croient être à l’abri du danger en pensant que l’armée rivale n’a pas d’autres choix que de chercher à rejoindre au plus vite Athènes, qui est restée sans défense. Mais Miltiade, le stratège qui commande l’armée grecque a l’idée d’une ruse. Nullement impressionné par ce qui menace Athènes, il décide d’attaquer les Perses au moment de leur repli vers la mer. La bataille devient donc navale.
Deux ailes de trières de l’armée grecque viennent enserrer le plus gros de la flotte ennemie. Les Perses perdent sept navires. Totalement inorganisés (car attaqués par surprise), ils ne parviennent pas à tenir tête au méthodique guet-apens athénien. De considérables pertes humaines « clairsèment » les rangs de l’armée de Darius. Au total, 6400 morts alors que les Athéniens ne déplorent que 192 victimes. Darius se voit donc contraint d’abdiquer.
Une légende raconte qu’un hoplite du nom de Philippidès (parfois Timoclès) voulut annoncer au plus vite la victoire aux Athéniens. Il parcourut au pas de course la distance de 40 km qui séparent Marathon d’Athènes. A son arrivée, il aurait juste eu le temps de crier « Victoire ! » avant de s’effondrer pour mourir d’épuisement. La tradition du Marathon vient donc de cette légende qui donne une idée de l’euphorie qui s’empare des vainqueurs.
Cette victoire triomphale, qui sauve la démocratie en même temps que l’honneur des Athéniens, laisse surtout l’espoir d’un monde juste où le bien pourrait s’imposer sur le mal. L’idéal démocratique n’est pas moins que cela. Le fait qu’une petite armée puisse, grâce à son intelligence, vaincre une puissance militaire qui est de 2 à 5 fois supérieure, rend compte de l’émergence d’un nouveau pouvoir qui reste inégalable. Ce pouvoir est celui « du peuple » et, grâce à cela, il révèle sa nette supériorité sur les forces de la tyrannie.
Humiliés par leur cuisante défaite, les Perses ont espéré tirer vengeance dans une seconde conquête. En - 480 Xerxès, fils de Darius, débarque en Grèce et se heurte aux 300 Spartiates de Léonidas au défilé de Thermopyles. Les 300 Spartiates se défendent bravement, mais tous sont tués au combat. Les Perses mettent ensuite le feu à Athènes. Mais Thémistocle, par un ingénieux stratagème et grâce à ses trières, détruit la flotte Perse de Salamine. Une légende raconte qu’un oracle signalant « Un rempart de bois » aurait aidé à la victoire. D’abord inquiétés par ces paroles, les Athéniens auraient finalement compris le sens du message : les remparts en bois faisaient allusion aux trières.
Ces deux combats de Marathon et de Salamine, qui aboutissent à la victoire des Athéniens correspondent aux guerres médiques, de Mèdes qui était l’ancien nom donné aux Perses. Le témoignage de cette histoire des origines de la démocratie nous est essentiellement connu grâce aux écrits de l’historien Hérodote.
Suite aux guerres médiques naît une alliance entre les cités : la ligue de Délos. La glorieuse Athènes trouve cette fois une protection sûre qui lui permet de consolider les bases du nouveau régime. Une nouvelle figure apparaît, celle de Périclès dont les réformes (mesures en faveur des plus pauvres, définition de la citoyenneté, lois panhelléniques…) vont dans le sens des idéaux démocratiques.
Son influence fut telle que l’on parlera du « Siècle de Périclès ».
Dans son organisation, la démocratie grecque révèle des structures complexes, et déjà une certaine lourdeur administrative, qui finira par devenir une des célèbres spécificités de la république romaine. La Boulè, ou Conseil des Cinq-Cents – car constituée de 500 membres (les bouleutes) – recueille les propositions de lois des citoyens à partir desquelles, elle établit des projets de lois. L’Ecclésia (qui signifie « l’Assemblée »), est le lieu où les lois sont votées par 6000 citoyens (d’après Thucydide). N’importe quel citoyen a la parole et peut proposer une motion. Les votes se font à main levée et à la majorité simple. Il existait aussi une administration civile, chargée du pouvoir exécutif, une administration militaire, et une administration judiciaire, constituée d’un tribunal populaire (Hélée) et d’un Sénat judiciaire (Aréopage).
Cependant, la démocratie athénienne ne résulte déjà plus de la seule volonté de ses élus ; née d’efforts communs et d’espoirs partagés, elle est devenue une œuvre collective : celle de tout un peuple, fier de ses talents réunis.
La démocratie grecque, sur un grand nombre de points, n’a pas beaucoup à voir avec les démocraties modernes. Contrairement à une idée reçue, elle se présente comme très communautaire et très rigoureuse dans ses principes d’égalité ; certains exégètes n’hésitent pas à parler de « système communiste » (parce que tout est mis en commun). Pour comprendre de telles dispositions, il faut se mettre dans l’esprit d’une époque, qui fait de la diversité un principe vital de base. Ces diversités se retrouvent chez l’homme et toutes ont leur importance dans l’organisation de la cité. Aussi, dans sa signification ancienne, l’égalité a ce rôle essentiel de donner sa chance à chacune des différentes natures humaines. Elle n’a donc pas cet effet rouleau compresseur que nous lui connaissons actuellement, le terme d’égalité ayant surtout pris le sens d’uniformisation.
Le principe d’égalité athénien souffre cependant d’une exception. Celle-ci est due à la morale : celui qui agit mal ne peut être l’égal de celui qui se conduit avec sagesse. Mais cette distinction morale pose le problème du discernement : comment savoir ce qui est bien ou mal, juste ou injuste ? Ce problème reste essentiellement le travail des philosophes, mais de ces questions de discernement dépendent les lois de la cité. Or, pour que ces lois soient justes, il faut que le bien corresponde à l’intérêt du plus grand nombre. C’est donc là que le principe démocratique trouve son sens.
D’après Périclès, « la démocratie est un régime qui vise l’intérêt de la majorité » (Thucydide, II, 37), mais cela ne signifie pas que l’exercice du pouvoir politique revient à celle-ci : seuls les individus habiles et compétents dans l’art du politique, peuvent prétendre exercer une autorité dans ce domaine. D’autre part, les décisions y sont toujours « collégiales », car le domaine politique ne tolère pas d’avoir à sa tête un seul homme. Tout homme élevé au-dessus des autres occupe une fonction paternelle. Le – bon – père est celui qui accepte d’être remis en cause par ses enfants pour que ces derniers prennent ensuite sa place. Si on prête au représentant politique une figure paternelle, inévitablement, il se créera une rivalité entre le peuple et le dirigeant comme il s’en crée une entre des enfants et leur père. A terme, il s’agira donc de renverser le dirigeant, or c’est précisément ce qui se passe dans les monarchies. Qu’il soit élu ou non, un représentant politique qui règne seul est nécessairement un monarque.
Il faut ajouter à cela que la politique n’est pas le pouvoir et que le pouvoir n’est pas que politique. Le pouvoir du politique est de s’occuper de l’organisation de la cité (la polis), afin de faire de l’individu, un « homme civilisé » que nous appellerons également un « citoyen » (habitant de la cité). Le rôle du politique est aussi de contrôler la hiérarchie que l’on définit à l’époque comme « le pouvoir du sacré » (hierarkia de hier – : « sacré » et – arkhe : « pouvoir / force »). Ce contrôle de la hiérarchie consiste essentiellement à éviter toute forme de culte de la personnalité.
[...]
Une des principales menaces contre la stabilité démocratique est l’enrichissement personnel. Selon Platon, une société ne peut être régie par le pouvoir de l’argent. Car celui qui base sa notoriété sur l’argent augmente sans cesse ses besoins. Pour légitimer ses richesses, le fortuné est contraint d’éblouir son entourage et pour cela il devra s’acheter des danseuses. Mais pour acheter des danseuses, il aura encore besoin de s’enrichir, et ainsi de suite…
De là est restée l’expression « s’offrir une danseuse » pour désigner un investissement de luxe.
Les démocraties grecques ne prônent donc pas le libéralisme et cela semble même être tout le contraire. Voilà ce que nous dit encore Platon :
« (…) La démocratie apparaît lorsque les pauvres, ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres, et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques. » (La République – Livre VIII).
« Dans cet Etat, repris-je, on n’est pas contraint de commander si l’on en est incapable, ni d’obéir si l’on ne veut pas, non plus de faire la guerre quand les autres la font, ni de rester en paix quand les autres y restent. » [ Il faut savoir respecter à la fois la nature martiale de certains hommes et le tempérament pacifiste des autres] (ibid.)
« C’est, comme tu vois, un gouvernement agréable, anarchique et bigarré, qui dispense une sorte d’égalité aussi bien à ce qui est inégal [les hommes vertueux par rapport aux non vertueux] qu’à ce qui est égal. » (ibid.)
La démocratie athénienne eut aussi ses adversaires, dont principalement Pseudo Xénophon (auteur anonyme) qui considérait ce régime comme un non-sens. Pour Alcibiade, il s’agissait d’une « folie ». D’autres la critiquent encore pour ses aspects « communistes ». C’est le cas du comique Aristophane, qui raille le système dans sa pièce L’Assemblée des Femmes.
PRAXAGORA (s’adressant aux spectateurs) : Qu’aucun de vous ne me contredise et ne m’interpelle avant de savoir mon projet et d’en avoir entendu l’exposé. Je dirai qu’il faut que tous mettent en commun leurs biens, aient part à ceux de tous et vivent du même fonds commun ; qu’il ne faut pas que l’un soit riche, l’autre malheureux ; que celui-ci exploite de grandes terre, et celui-là n’ait même pas où être enterré ; ni que l’un ait à son service quantité d’esclaves, et l’autre pas même un suivant. Non, j’institue un seul genre de vie commune, la même pour tous.
BLEPYROS : Comment sera-t-elle commune à tous ?
PRAXAGORA (dans un mouvement d’impatience) : Tu mangeras de la crotte
avant moi.
[Expression que l’on peut traduire par : tu mangeras les pissenlits par la racine avant moi.]
BLEPYROS : Nous aurons aussi la crotte en commun ?
Les Athéniens, furent-ils les premiers à avoir inventé la démocratie ? Nul doute que l’idée fut dans l’air du temps. Avant la démocratie athénienne, des cités avaient déjà adopté des systèmes très ouverts sur le rôle participatif du peuple. Ce fut le cas à Chios (avec son conseil populaire dans les années - 575 / - 550), mais aussi à Argos, Tarente, Elis, Syracuse…
La spécificité athénienne fut sans doute alors d’avoir sue révéler la subtilité d’un pouvoir capable de s’imposer, non pas par des forces dissuasives semant le trouble et la terreur, mais par ce que les hommes avaient de meilleur en eux : leur intelligence, leur courage, leur sagesse, etc.
Les démocraties anciennes ont perduré pendant des siècles et se sont finalement éteintes en emportant avec elles des idéaux de liberté qui ne seront jamais repris ultérieurement. Mais dans le sillage de leur histoire passée, ce sont les germes d’un monde nouveau, qu’elles ont laissés. Aujourd’hui, leur naissance dans un coin de la Grèce se confond facilement avec d’autres événements. Il n’empêche que ce système d’organisation reste un idéal collectif qui a su dépasser les clivages politiques, ethniques, religieux et culturels, pour devenir le rêve commun de toute une humanité et même le seul rêve commun que se partagent les peuples du monde entier… La démocratie a aussi cela d’idéal : née dans une cité grecque protégée seulement par 10 000 hoplites, elle est devenue le système de pensée le plus influent de la planète.